Le défi de l’accès en eau et assainissement dans les capitales africaines
Published on by Gregoire Diouf, The Islamic Development Bank - Senior Water and Sanitation Specialist
La problématique de l’eau et de l’assainissement constitue une préoccupation majeure de tous les décideurs et gouvernants des pays en voie de développement en général et en Afrique subsaharienne en particulier.Le défi de l’eau et de l’assainissement constitue l’une des priorités de leur politique de développement économique et sociale. La disponibilité de l’eau potable en quantité et en qualité est étroitement liée aux conditions d’hygiène et de santé des populations. La disponibilité en eau doit être accompagnée des services d’assainissement même s’ils sont des services de base pour garantir un environnement de santé publique pour les populations. D’ après une évaluation des Nations Unies, un dollar EU investi dans l’eau et l’assainissement génère un bénéfice de 5,5 dollars EU en matière de santé publique des populations, d’où l’importance de l’accès en eau potable et des services d’assainissement pour les populations
Les Enjeux de l’accès en eau et assainissement dan les villes africaines
Les enjeux sont immenses, importants et variés. Plusieurs facteurs et contingences souvent non maitrisés constituent des obstacles à la maîtrise de l’eau et à la satisfaction de la demande en eau et aux besoins en services d’assainissement de plus en plus croissants. Il s’agit entre autres de : (i) l’urbanisation galopante et non planifiée des villes accompagnées d’une forte pression démographique, ce qui augmente la demande en services sociaux de base incluant l’eau et l’assainissement, (ii) la raréfaction des ressources en eau accentuée par la pollution et la salinisation des eaux, (iii) les effets des changements climatiques avec des cycles de sécheresses et d’inondations, ( iii) les effets de la crise économique mondiale avec la réduction de l’aide au développement et la difficulté des pays en voie de développement de mobiliser des ressources internes suffisantes à allouer au budget d’investissement des programmes d’eau et d’assainissement .
Comme conséquence, 1,1 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès à l’assainissement de base selon le rapport d’évaluation conjointe UNICEF/OMS en 2007 sur le suivi des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), volet Eau et Assainissement. L’Afrique Sub-saharienne demeure la région du monde où la situation est la plus préoccupante. Malgré les progrès enregistrés dans cette région, le pourcentage de la population desservie en eau potable reste encore faible, passant de 49% à 56% entre 1990 et 2004. Il faudrait un effort important en termes de mobilisation de ressources financières, matérielles et humaines pour atteindre la cible visée de 75% du taux de desserte en eau potable d’ici 2015.
La situation est encore plus critique pour l’assainissement avec seulement 49% de taux d’accès noté en 1990, ce qui présume la nécessité de déployer d’importants efforts pour atteindre la cible de 75% fixé par les OMD, alors que l’assainissement constitue le parent pauvre du secteur avec un retard important en matière d’investissement .
Définition de l’accès en eau et assainissement des populations
L’accès en eau potable des populations tels que définis par les OMD se fait généralement par branchements particuliers communément appelés branchements domiciliaires sur les réseaux d’eau potable ou par bornes fontaines (BF). Les populations ayant accès en eau potable par BF sont considérées comme celles qui se ravitaillent en eau à partir de la BF sur un rayon ne dépassant pas 300 mètres.
L’accès à l’assainissement se fait par raccordement au système d’égout collectif ou par système d’assainissement individuel ou assainissement autonomes (latrines, fosses septiques, fosses étanches….).
Au vu de la problématique et des enjeux notés ci-dessus, les défis pour l’accès en eau et assainissement des populations dans les villes africaines sont nombreux. Les principaux défis sont indiqués ci-après :
Défi 1 :Problèmes de la satisfaction de la demande en eau et des besoins en services d’assainissement
Du fait de l’augmentation incontrôlée de la démographie et du retard sur les investissements d’infrastructures d’eau potable et d’assainissement dans les capitales africaines, l’offre ne parvient pas à satisfaire la demande. Face à ce défi, les pays africains font de plus en plus appel à des réformes institutionnelles (privatisation ou autres formes de délégation publique des services d'eau et d'assainissement) accompagnées de programmes sectoriels d’investissement avec l’implication d’opérateurs privés pour mieux booster les investissements et améliorer la performance des services d’exploitation et de maintenance dans le secteur de l’eau et de l’assainissement
Défi 2 : Problèmes d`urbanisation non maitrisée
L’urbanisation rapide et incontrôlée a pour conséquence la prolifération de bidonvilles mal loties sur la périphérie de la plupart des villes africaines. Ceci a pour conséquence directe l’impossibilité de pose de réseaux d’eau potable et d’assainissement dans les quartiers de ces bidonvilles et par conséquent un frein à l’accès des populations par branchements individuels. En lieu et place, on fait des extensions de réseaux là où c’est possible et on construit des bornes fontaines pour permettre l’approvisionnement en eau des populations de ces zones non loties. L'assainissement autonome ou semi-collectif constitue souvent l'option la plus adaptée pour ces types de zones d'habitations.
Défi 3 : Absence ou insuffisance des documents de planification et de réglementation
Dans la plupart des pays africains particulièrement les pays subsahariens, il y a absence ou insuffisance de documents de planification stratégique et opérationnelle et des documents légaux et réglementaires du secteur. Ces documents permettent d’harmoniser et de planifier les investissements d’infrastructures d’eau potable et d’assainissement en fonction de la demande et d’instituer un cadre légal et réglementaire du secteur. Dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, les documents de planification suivants sont généralement élaborés, validés et utilisés comme document de pilotage au niveau de chaque pays : (i) la lettre de politique sectorielle de l’eau et de l’assainissement, (ii) les orientations et axes stratégiques pour le développement des infrastructures, (iii) la programmation des investissements, (iv) les schémas directeurs de l’alimentation en eau ou de l’assainissement des villes, (v) les documents de suivi/évaluation.Les documents légaux et réglementaires sont en général le Code de l’Eau, le Code de l’Assainissement, les lois et décrets d’application qui règlementent le secteur. En plus de ces documents, certains pays africains instaurent des mécanismes institutionnels de régulation du secteur.
Par ailleurs, la lourdeur des procédures de passation des marchés et des décaissements des bailleurs de fonds et des Etats, constituent souvent des retards dans la mise en œuvre des projets d’eau potable et d’assainissement dans les villes africaines.
Défi 4 : Faiblesse des capacités des agences d’exécution des projets d’eau et d’assainissement
Il a été noté dans la plupart des pays africains notamment ceux du sud du Sahara, l’insuffisance de personnel qualifié au niveau des agences d’exécution pouvant gérer efficacement la mise en œuvre des projets d’eau et d’assainissement. Ceci a pour conséquence : (i) le retard dans l’exécution des projets, (ii) une faible capacité d’absorption des crédits, (iii) un frein à la durabilité des infrastructures d’eau et d’assainissement.
Par ailleurs, même si cela n’est pas toujours avéré, il est souvent signalé dans beaucoup de pays africains, de cas de fraudes et de corruption dans la gestion des projets d`eau et d`assainissement, ce qui réduit considérablement les investissements dans ce secteur. Il est important cependant de préciser que la fraude et de la corruption dans le secteur de l’eau et l’assainissement est un phénomène universel et ne concerne pas que les pays africains. L’engagement de tous est requis pour combattre ce fléau qui gangrène toutes les bonnes initiatives dans ce secteur.
Défi 5 : Problème de la mobilisation des ressources financières
La crise économique mondiale, le manque de volonté politique de considérer le financement des infrastructures d’eau et d’assainissement comme priorités a pour conséquence l’insuffisance des ressources externes et internes alloués à ce secteur, mais également des problèmes d’équilibre financier du secteur.
Défi 6 : Connaissance de la ressource en eau et protection des ressources en eau
Malgré le développement des sciences de l’eau notamment l’hydrologie et l’hydrogéologie, la connaissance des ressources mobilisables en eau et la qualité des eaux reste encore faible dans plusieurs zones en Afrique. Les rejets des eaux usées domestiques et industrielles sans traitement et la prolifération des fosses septiques non étanches dans les bidonvilles constituent les principales causes de la pollution des souterraines et des eaux de surface. Dans bon nombre de pays africains, la culture de protection de la ressource en eau est très faiblement développée. Les habitations et autres sources de pollution côtoient les sources d’eau sans aucune mesure de protection technique ou délimitation de périmètre de protection.
Défi 7 : L’accès des populations pauvres à l’eau et à l’assainissement
Les populations les plus pauvres constituent la majorité de la frange de populations n’ayant pas accès à l’eau et à l’assainissement dans les villes africaines. D’où la nécessité pour les gouvernements de développer des politiques en faveur de l’accès des pauvres à l’eau et à l’assainissement. Parmi ces politiques et stratégie on peut citer : (i) le mécanisme de ciblage des plus pauvres,(ii) le développement et vulgarisation des branchements sociaux (branchements subventionnés par l’Etat), (iii) la mise en place d’une politique tarifaire avec des tarifs acceptables, supportables économiquement, politiquement et socialement par toutes les populations. Cependant, quel que soit le mode de tarification établi, il doit permettre de maintenir l’équilibre financier du secteur par un mécanisme de recouvrement des coûts et assurer la durabilité des infrastructures d’eau potable et d’assainissement.
Défi 8 : Information –Education- Communication (IEC)
L’IEC dénommée science de l’ingénierie sociale est de plus en plus utilisée pour accompagner la mise en œuvre des projets d’eau potable et d’assainissement en Afrique. Elle consiste à recruter un cabinet ou expert individuel qui va communiquer informer et éduquer les populations bénéficiaires en vue de susciter une approche participative des populations, leur adhésion et appropriation des projets d’eau potable et d’assainissement. Elle permet également aux populations de mieux prendre en charge les installations, réduire les gaspillages dans le cadre de l’économie d’eau. L’IEC est souvent utilisée auprès des populations pour mieux susciter leur demande de raccordement et booster les taux d’accès en eau et assainissement des populations
Défi 9 : Drainage des eaux pluviales et gestion des inondations
Le drainage des eaux pluviales constitue un défi important pour la sécurité des biens et des personnes. Comme l’assainissement des eaux usées, le drainage des eaux pluviales est très peu développé dans les villes africaines. Les réseaux de drainage existant sont sous-dimensionnés en termes de capacité d’évacuation des eaux pluviales et ne couvrent même par 1/3 des surfaces de la superficie des villes. Les canaux à ciel ouvert sont souvent vétustes, mal exploités, et entretenus. Dans la plupart des villes, ils constituent des dépotoirs d’ordures.
Avec le changement climatique ponctué d’inondations très importantes, le drainage s’avère indispensable. L’absence de réseaux de drainage à l’origine des catastrophes causées par les inondations.
Pour avoir une idée de l’ampleur des dégâts, on peut citer l’exemple du Sénégal où la Banque Mondiale a évalué les dégâts causés par les inondations de l’année 2009. Le montant évalué des pertes et dommages est estimé à 55,8 millions de dollars des Etats Unis.
Défi 10 : Manque de coordination dans le secteur et dissémination des données et information
La problématique de l’eau et de l’assainissement est transversale car relative à plusieurs secteurs tels que l’hydraulique, l’agriculture, l’élevage, la santé, l’éducation, l’industrie etc. Par conséquent, elle doit être gérée de façon intégrée en impliquant tous les acteurs concernés et les parties prenantes. Cependant il se pose souvent des difficultés dans la coordination de multiples acteurs intervenant dans la gestion des questions d’eau et d’assainissement. Par ailleurs, les données et information sur l’eau et l’assainissement sont disséminées à travers les pays dans plusieurs ministères ou départements techniques. Il est rare de trouver un pays où une seule entité est chargée de centraliser toutes les données et information liées à l’eau et à l’assainissement. De plus en plus pour régler le problème de la dissémination des données et information et la question de la coordination des acteurs, certains pays comme le Sénégal, ont mis en place Unité nationale de coordination des questions d’eau et d’assainissement. Cette unité constitue un cadre unifié d’interventions qui coordonne toutes les interventions et centralise toutes les données et information grâce un système de suivi évaluation et un portail d’échange et d’information.
Conclusion
Malgré ces enjeux et défis important notés dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, force est de constater que des efforts importants ont été réalisés ces 10 dernières par les pays africains dans le domaine de l’accès à l’eau et à l’assainissement avec l’appui et l’engagement de la Communauté Internationale à soutenir ce secteur tant vital pour le développement. Même si beaucoup de pays africains ne vont pas atteindre leur objectifs des OMD pour l’eau et l’assainissement en 2015, avec cette nouvelle dynamique, l’optimisme est permis pour l’accès universel en eau et assainissement dans le cadre de la nouvelle initiative post OMD que la Communauté Internationale est entrain de formuler
Gregoire Diouf
Spécialiste Senior Eau et Assainissement
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